La fraude sociale, qui coûterait jusqu’à 8 milliards d’euros par an à la société française, n’est pas seulement un manque à gagner pour l’Etat. Elle pénalise aussi les travailleurs victimes des défaillances déclaratives, déplore Antoine Cheng. D’autant plus que les fraudeurs ne se privent pas d’exploiter certaines failles liées aux nouveaux modes de travail.
Le coût de la fraude sociale pour les finances publiques
Selon le dernier rapport de la Cour des Comptes, le manque à gagner pour les finances publiques dû à la fraude sociale serait compris entre 6 et 8 milliards d’euros par an. Dans le sillage de ce rapport, le gouvernement français a dévoilé il y a quelques semaines une batterie de mesures pour lutter contre ce fléau, avec un objectif fort annoncé par le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal : doubler le nombre de redressements d’ici à 2027.
Parmi les différents types de fraudes sociales, celle sur les cotisations figure parmi les plus importantes. En 2022, l’Urssaf a réussi à récupérer 788 millions d’euros au titre du travail dissimulé. Ces résultats en augmentation régulière – les montants récupérés ont plus que doublé en 10 ans – montrent que les efforts paient.
Le coût de la fraude sociale pour les travailleurs
Il faut insister sur un point dont on entend moins parler lorsque l’on évoque la fraude aux cotisations sociale : elle pénalise aussi les travailleurs.
Si les cotisations ne sont pas versées, cela signifie que le travailleur ne bénéficie pas du régime de protection (famille, maladie, vieillesse, chômage) qu’elles devraient normalement lui garantir. Les employeurs peu scrupuleux qui pratiquent le travail dissimulé ou qui déguisent une partie du salaire (via des notes de frais fictives, par exemple) pour payer moins de cotisations mettent en danger les salariés en les privant d’une bonne protection sociale et en faisant peser sur eux des coûts potentiellement importants en cas d’accident de la vie. Ils les privent également d’une partie de leurs futures pensions de retraite.
La lutte menée par le gouvernement et l’URSSAF poursuit ces deux objectifs intimement liés. Or cette lutte constante est d’autant plus complexe qu’elle doit s’adapter en permanence aux nouvelles pratiques des fraudeurs, dont l’inventivité ne manque pas de tirer parti – notamment – des nouveaux modes de travail.
Nouveaux modes de travail, nouvelles fraudes
La généralisation du télétravail, typiquement, facilite (malgré elle) la création de montages où des salariés continuent de bénéficier des prestations sociales alors qu’il télétravaillent depuis un autre pays. Même si le gouvernement a durci les conditions de résidence pour bénéficier des allocations (6 mois par an minimum aujourd’hui, et 9 mois à partir de 2024), ce type de fraude a certainement explosé depuis la crise du Covid.
Le boom des indépendants (+8,6% en 2021 soit à peu près 4,1M d’indépendants, +8,1% en 2020) et de l’un de ses corollaires – le portage salarial, qui leur permet de bénéficier de la même protection sociale qu’un salarié (100 000 personnes / 1,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an) – sont une autre tendance qui favorise (là aussi malgré elle) certaines fraudes.
Des sociétés basées dans des pays où les cotisations sociales sont bien inférieures (et la protection des travailleurs aussi) proposent de facturer les prestations des indépendants réalisées en France et de reverser une grande partie de ce chiffre d’affaires sous forme de dividendes, échappant ainsi à toutes les cotisations françaises.
Ce ne sont que quelques exemples, qui montrent à quel point la lutte contre la fraude sociale doit être menée pied à pied, et à quel point les travailleurs doivent être vigilants.
Retrouvez l’article ici : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-quand-les-nouveaux-modes-de-travail-facilitent-les-fraudes-sociales-2027300